CONCLUSIONS DE L'ENQUÊTE LICENCE ARTS PLASTIQUES ÉLÉMENTS POUR UNE DISCUSSION, AVEC PROPOSITIONS Deux réalités constatées qui posent notre problème, à la lumière également du récent mouvement anti-Cpe :
1. Selon les statistiques ministérielles officielles " 40% des étudiants sortent de l'université française sans aucune qualification ". Les présidents des Universités de France réfléchissent sur le lien entre les Formations universitaires et le problème de la professionnalisation des étudiants. Le Rapport de leur commission mise en place par le gouvernement est attendu en Juin 2006.
2. Selon les résultats de notre enquête interne en Licence Arts plastiques durant 2005, un bon tiers de nos étudiants de L1, plus de 100, abandonnent leurs études au bout de deux mois après leur première inscription. De plus, l' absentéisme élevé et les abandons en cours d'études pointent, aussi, notre incapacité à susciter l'intérêt et le désir de nos étudiants de venir travailler à l'université. Nous ne dispensons pas d'Information spécialisée, d'Orientation fonctionnelle et de Coordination pédagogique avec Suivi en rapport avec les objectifs de formation ou professionnels envisagés après la Licence. Globalement, notre formation et son infrastructure générale s'avèrent mal adaptées aux besoins clairement exprimés par la majorité de nos étudiants, n 'offre pas de débouchés facilement identifiables (sauf Capes, Agrégation, et même cela pose désormais problème) et souffre d'un manque de lisibilité interne et externe, de représentation positive et, surtout, de moyens matériels adéquats à sa nature spécifique.
Comment agir avec nos moyens actuels contre l'abandon précoce des études, l' échec universitaire durant les études, le niveau faible et déséquilibrée de notre formation et l'absence de qualification(s) professionnelle(s) à la sortie de la Licence ?
Qu'est-ce qu'une formation en Arts plastiques aujourd'hui ? Où mène-t-elle ? Qu'est-ce qu'un étudiant venu chez nous peut apprendre, et avec quels moyens ? Pour quels débouchés professionnels ? Nous avons là des questions-type de tout néo-arrivant qui frappe à la porte de notre département. La Journée des Portes Ouvertes aux Lycéens ne peut pas en elle seule régler le problème. Comment procéder pour éviter, au moins, la mésentente avec les 100 étudiants qui s'en vont peu après leur inscription ? Il apparaît désormais comme évident que nous devons assumer un Accueil d'Orientation et d' Information avant les inscriptions définitives de tous les néo-arrivants. Cet Accueil doit être fait par un certain nombre d'enseignants (à déterminer selon spécialités et permanences) ou par le personnel du secrétariat dûment formé et informé à propos ou par les tuteurs étudiants épaulés par des enseignants et ce, durant toute la durée prévue du dépôt des dossiers d'inscription. Tout candidat doit avoir la possibilité de présenter sa motivation durant cet entretien, argumenter les raisons de son intérêt pour notre formation, expliquer sa situation personnelle et ses aspirations, exposer ses objectifs futurs et ses travaux artistiques éventuels. Durant cet entretien nous devons évaluer en priorité la volonté réelle et affirmée du candidat à l'inscription de poursuivre notre cursus après en avoir été informé et toutes ses questions clarifiées. Mais surtout, exigence légitime de notre temps, nous devons être en mesure de lui dire si ses aspirations et ses objectifs professionnels pourront se réaliser grâce à notre formation. Ce qui signifie que nous lui sommes redevables d'une information détaillée à propos de notre formation avant qu'il ne s'inscrive. A défaut d'acceptation de son inscription, dont les raisons doivent être clairement présentées, nous avons l'obligation de le conseiller et l'orienter vers d'autres formations possibles qui semblent plus adéquates à sa situation et à son désir.
Il nous faut enfin cesser de buter sur l'écueil idéologique et fantasmatique stérile, mais, encore allergique pour certains, du signifiant " sélection ". Pourquoi ? D'abord, parce que la " sélection " existe dores et déjà dans " nos quotas en vigueur " : d'une part, il s'agit des " catégories des candidats " (bachelier de l'année en cours, ancien bachelier, étranger, reprise d'études, accès par équivalence, salariés, etc) et, d'autre part, il s'agit de la sélection de l'arbitraire : " premier venu, premier servi ". Ce qui fait que des " talentueux et motivés " arrivés dans les délais, mais après remplissage des cases des quotas, en sont exclus. Ainsi, des premiers venus et " admis à occuper une place " peuvent s 'en aller peu après en découvrant que les Arts plastiques de Paris 8 ne sont pas pour eux ! L'université en général, et plus particulièrement notre département, ne devraient plus se permettre (à cause du statu quo actuel d' admission et de l'absence d'Orientation et d'Information au départ) de fonctionner " à perte " et au détriment de ceux qui aspirent à des études de qualité, mieux organisées et avec des moyens matériels (budgétaires surtout) identifiables, concrets et connus d'avance. Ainsi, accepter tout le monde en L1 et perdre 1/3 au bout de deux mois signifie ou bien que l'on ne se fait aucun souci moral sur cette " tromperie sur la marchandise " que ressentent ceux qui abandonnent, ou bien que l'on n'est point responsable du bon et juste fonctionnement de notre formation, eu égard aussi du paiement des frais de scolarité par l'étudiant en abandon ou en échec. Aujourd'hui, le status quo a fait que la sélection devienne naturelle et l'université en pâtit.
Cette perte du tiers de la population de L1, aussi bien que les abandons de L2 et L3, a pour conséquence l'effet pervers suivant : le coût horaire réellement dépensé par étudiant et par cours devient plus cher, puisque les groupes initialement prévus et budgétés se réduisent d'un tiers, pour la L1 au moins. Mais, personne ne semble se soucier de ce gaspillage budgétaire induit par cet état de fait et qui pourrait pourtant être affecté à des besoins urgents et criants en matière d'Orientation, d'ateliers de travail, d'équipement technique et en matériel, de réalisation de projets, de voyages d'études, etc. Ainsi, une prise en compte sérieuse de cette réalité devrait nous amener à réfléchir sur une répartition de notre budget selon nos besoins avérés et obligatoires envers les étudiants. Par exemple : canaliser 1/3 du budget des Heures complémentaires (HC) de L1 à la rémunération de ceux qui doivent animer, faire exister et maintenir les ateliers de travail ouverts à tous pendant tous les jours de la semaine, ainsi qu'à l'Orientation et au Tutorat étudiant qui ne dispose d 'aucun budget ni d'équipement pour bien mener sa mission. Il est décidément aberrant et regrettable qu'un Département d'Arts plastiques ne possède pas d 'ateliers ouverts en continu et équipés convenablement pour ceux qui veulent ou doivent travailler en dehors des seules heures des cours. Un nouveau calcul de la répartition budgétaire s'impose, au vu de la réalité pédagogique. Il apparaît donc évident qu'une réflexion doit être faite et accompagnée d'une décision adéquate et rapide à propos de cette situation.
Quels sont les choix que nous avons devant nous ? a) Maintenir le nombre actuel d'admis en L1 avec le status quo actuel des inscriptions par quotas et " sans sélection " (ce qui est absurde à dire lorsqu'on a des quotas) et redistribuer autrement le 1/3 du budget des HC de L1, selon le raisonnement ci-dessus, mais, tout en assumant une sorte d'hypocrisie et de largesse morale. b) Diminuer le nombre d'admis en L1, mais, se battre pour justifier et maintenir le budget actuel des HC pour redistribuer 1/3 selon les vrais besoins et l'obligation d'améliorer la qualité et l'efficacité de notre formation. c) Une troisième voie possible mais trop acrobatique serait la suivante : tout en maintenant le statu quo des admissions en L1, l'étoffer avec des entretiens d'Orientation et d'Information préalables à l'inscription. Réduire de façon équilibrée, bien étudiée et proportionnelle l'offre en groupes horaires (cours) et faire en sorte que les besoins avérés et non satisfaits (ateliers ouverts, projets, Orientation, équipements) soient couverts tout de même progressivement par l'économie obtenue grâce à la réduction du nombre total des cours proposés. Concernant ces besoins avérés, les Arts plastiques constituent une exception malheureuse remarquable, malgré le fait que notre département concentre la population la plus élevée en termes d'inscrits par département à Paris 8. Un tour dans les autres départements de l'UFR ARTS s'impose pour constater qu' ils possèdent tous des lieux et des équipements dédiés au travail d'étude et de création pour leurs étudiants en dehors des seules séances de 2h30 de cours. Sans parler d'autres départements d'arts français, européens ou internationaux. Comment se fait-il que notre département en est privé à ce point limite ? Comment peut-on encore imaginer aujourd'hui, en 2006, qu'une formation contemporaine en Arts plastiques se concentre et s'effectue seulement pendant le temps d'un cours en excluant le temps et les moyens de l'étude, de l' exercice, de la construction, de l'élaboration, de l'expérimentation ? Comment accepter le fait qu'il n'y a aucun outil ni équipement disponible, en dehors d'une trousse d'écolier ? Comment se fait-il que le Cinéma possède son Studio de prise de vues, du matériel de tournage, que la Photographie soit richement équipée en Laboratoires de développement et de tirages, de Studios de prises de vues, d'imprimantes laser grand format, qu'ATI soit équipé convenablement et mette à disposition de ses étudiants les ateliers en dehors des heures de cours et que nous soyons privés de tout ? Pourquoi il n'y a pas de lien utile entre divers Services techniques (vidéo, son et autres) et nos étudiants ? Comment se fait-il aussi que le rayon " Arts " dans cette si belle Bibliothèque de Paris 8 soit d'une pauvreté terrible en titres, équipé à peine au niveau de n'importe quelle médiathèque de quartier difficile ? Et, pourquoi personne ne parle chez nous de tout cela, en dehors des étudiants déçus ? Comment donc y remédier ? Nous pouvons, certes, tous penser à la sempiternelle question du financement de l'Université française et renvoyer ainsi toute responsabilité dans un ailleurs qui nous dépasse. Mais en dehors de la question de politique nationale en la matière, nous devons réfléchir tout d'abord si notre propre organisation interne est suffisamment imaginative, ambitieuse, efficace, programmée et en adéquation avec les exigences minimales de notre propre objet de formation, aussi bien qu'avec les aspirations exprimées de notre public, les étudiants. Nous ne pouvons pas ne pas constater (au vu des résultats pédagogiques de nos étudiants) que nous avons privilégié, en matière de politique d'offre pédagogique, la quantité désordonnée au détriment de la qualité ordonnée. Les données de notre Enquête menée durant deux Bilans pédagogiques en 2005, aussi bien que l'observation continue et l'écoute des étudiants à partir du Tutorat, de l'Orientation et du Suivi des Stages démontrent qu'il existe belle et bien une inadéquation forte entre offre et demande pédagogique, soit, à la fois, la demande excédant et se différenciant de l'offre. D'où, évidemment, peut découler l'indifférence à la réception de la formation proposée, autant dire le désamour, le désintérêt, puis, l'échec et l'abandon des études. La dévalorisation d'un diplôme de Licence Arts plastiques trouve aussi racine, entre autres causes, dans cette inadéquation entre notre offre pédagogique et la réalité globale actuelle vécue (on pourrait parler aussi de décrochage ou de désancrage). Inadéquation comme désamour, comme perte de la promesse de s'identifier à son objet d'étude choisie. Nos étudiants qui abandonnent se sentent trompés à propos de la promesse initiale (du prestige et de la force d'attraction supposée) de notre formation. L'échec et le désamour font partie de la nature de l'homme dans une certaine mesure, jusqu'à un certain niveau de tolérance, mais ici, chez nous, pourquoi tant de dégâts ? Pourquoi 1/3 des inscrits en L1 s'en vont à peine arrivés ? Est-ce une fatalité ? Il y a sans doute matière à rire en se demandant pourquoi la question éminemment politique de l' excellence donne de l'urticaire à beaucoup, dès que prononcée. Comme si notre université et notre département d'arts plastiques devaient éternellement se complaire dans l'impuissance inénarrable de l'expédient au profit d'une fausse bonne conscience. Complaisance également, en exhibant la pauvreté comme parapluie éthique, en jouant la victimisation perpétuelle pour éviter la responsabilité, voire, en affirmant l'indifférence cynique dans la boue des basses cours statutaires tout en pratiquant la sape souterraine d'autrui. Est-ce encore incurable pour longtemps ? En tout cas, en attendant une guérison possible, un mot d'ordre " conservatoire " s'impose : Arrêter d'engager les jeunes dans des impasses ! Ainsi, nous devons réfléchir sur notre obligation d'assumer une Orientation suivie pendant toute la scolarité. Sans parler de la rendre obligatoire pour chaque étudiant, elle doit naturellement entrer dans nos mœurs et habitudes pédagogiques. Notre but doit prioritairement se focaliser à la diminution du très grand taux d'abandon et d'échec tant en début de scolarité que pendant. Pour ce faire, nous devons trouver les modalités concrètes d'application de l' Orientation et définir les responsabilités mutuelles (étudiants et enseignants) en ce qui concerne l'élaboration et la construction des Parcours d'études. Les objectifs de notre formation doivent devenir claires, identifiables facilement, transposables à des réalités professionnelles dès la fin de la Licence et, évidemment, réalisables. Il faut réduire la très grande place du hasard durant les années de la Licence et l'occuper par plus de prévisible, de planifié d' avance, de programmable, en connaissance donc des tenants et des aboutissants de la formation. Des exemples d'étudiants clairvoyants ne manquent pas et c'est justement d'eux que nous devons nous en inspirer. Les objectifs des contenus pédagogiques, aussi, doivent être vérifiables et concrètement applicables pour pouvoir finalement être vraiment investis professionnellement dès la fin de la Licence. Ceci vaut évidemment pour la continuité des études vers le Master et le Doctorat. Comment peut-on s'investir aujourd'hui dans un Doctorat, au vu de la réalité qui nous entoure, sans connaissance des chances d' employabilité quelque part ? Nous devons désormais être en mesure de fournir des statistiques à propos des places disponibles dans tel ou tel secteur de débouchés visés par notre formation, et ce, de la Licence au Doctorat. Le Parcours d'études doit lors de sa première construction et tout au long de ses modifications possibles, tenir compte de ces exigences d'information et d'orientation continues. Ne nous privons plus de l'apprentissage de techniques et méthodes appliquées, en parallèle aux enseignements théoriques généraux et thématiques qui forment traditionnellement la majeure partie de notre offre de formation en arts plastiques. Nous ferions mieux dès à présent d'arrêter de définir l' identité de notre département par la négative, en le comparant à d'autres département et écoles d'art. Il nous faut spécifier et adhérer à une identité affirmée positivement et collectivement et non pas par défaut. Non, ils ne passeront pas tous le Capes, ni l'Agrégation, et en plus, cela nous coûte très cher ! En revanche, oui, nous sommes en parfaite mesure, à travers la richesse et la diversité de nos enseignants et surtout de nos chargés de cours (précaires car si mal payés), de relever les défis contemporains de formations qui sont dispensées " de réputation " ailleurs : dans des écoles privées et publiques de beaux- arts, d'arts décoratifs, graphiques, de communication, de publicité, de management culturel et d'autres encore. Ce qu'aujourd'hui fait la grande différence entre un des nos étudiants ayant sa Licence d'arts plastiques et un étudiant de l'Ecole Estienne (entre autres exemples), c'est la capacité " supposée de réputation " du second à user des technicités indispensables dans le domaine graphique. Nous voyons bien que l'image et l'identité de notre université et de notre département auprès des employeurs n'est pas bonne, parce que jamais nous n'avons communiqué ni fait la promotion vers l'extérieur des atouts " possibles " des Parcours d'études de notre formation. Ainsi, l'apprentissage nécessaire des logiciels associés à l'exercice de bon nombre de métiers auxquels nos étudiants se déclarent intéressés, doit être sérieusement organisé et dispensé. Si on parle désormais de professionnalisation possible, l'outil à transmettre est là, au moins pour moitié. L'autre moitié se trouve dans une connaissance historique et surtout actuelle de l'art et de la culture, connaissance tant générale que bien nécessairement spécifique (par exemple l'aspect économique et politique de l'artistique, du culturel, du loisir en rapport). Le Parcours d'études choisi doit mettre en avant une capacité universitaire d'esprit critique et d'analyse (dite du " supérieur ") qui pourra faire la différence avec les autres organismes de formation en arts. Notre problème c'est que nous avons longuement parlé d'un caractère " généraliste " de notre offre de formation, et tout particulièrement de la Licence, ce qui s'avère un grand handicap à l' heure où les spécialisations et les acquis en technicités continuellement réactualisés deviennent vitaux sur le plan économique et de l'emploi, des arts plastiques y compris. Peut-on imaginer aujourd'hui un jeune commissaire d'expos incapable de copier un DVD et ne sachant pas " communiquer " sur son exposition ? Peut-on imaginer un maquettiste qui travaille seulement à la main aujourd'hui ? De même, peut-on concevoir un étudiant en Design d'espace qui ne manie aucun logiciel de dessin architectural ? Ou encore, un candidat à l'animation en 3D qui n'a pas appris l'anatomie et la perspective d'un corps dans ses cours de dessin ? Nous devons répondre à ces contradictions et manques qui existent au sein de notre formation. Nous avons l'essentiel du potentiel qu'il faut pour réussir, mais nous ne l'organisons pas avec méthode. Ces constatations et la discussion qui en résulte, doivent nous amener vers une restructuration de l'offre d'enseignements et du fonctionnement actuel. Nous devons choisir parmi des " doublons " de certains cours, éventuellement réduire le nombre global (si en plus la réduction budgétaire se précise), et décider de possibles contenus nouveaux ou rénovés nécessaires. Il faut certainement choisir un cap et déterminer la Politique et l'Economie de notre formation. Désormais, l'équilibrage souhaité entre l'offre et la demande pédagogique doit passer par cette lisibilité de construction des Parcours d'études possibles correspondant à des débouchés professionnels plus nombreux qu'aujourd'hui et surtout bien concrets et réalisables. Ceci vaut ici pour la Licence, mais il est valable tout aussi bien pour le Master et le Doctorat, un an après l' application de la réforme LMD. Espérons que la Journée pédagogique et la discussion et concertation de tous tout au long d'une année universitaire puissent contribuer à améliorer l'ensemble des points soulevés, et ce, de façon non interrompue. Saint-Denis, le 25 mai 2006 Georges Mutsianos |
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