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Orienter ou s’orienter dans l’enseignement supérieur ? Le rapport Hetzel remis au ministre de l’éducation Gilles de Robien préconise essentiellement une réforme de l’orientation à l’université, dont tout le monde s’accorde à reconnaître l’insuffisance. Mais de quelle réforme s’agit-il au juste ? Ce qui caractérise le plus l’enseignement supérieur français est la césure, dans les structures et les modes de fonctionnement, entre universités et écoles. Pas seulement les « grandes » écoles : les écoles d’infirmières, d’assistantes sociales ou de la magistrature ont en commun d’offrir aux étudiants qui en sortent un emploi garanti et un statut protégé. Cette garantie repose sur lecontingentement de l’accès à ces écoles, établi sur la base d’un supposé « besoin social », largement déterminé en fait par l’inertie bureaucratique. Pour les étudiants ayant réussi le concours d’accès, cette garantie est parfaite. Par contre, si l’anticipation du besoin social, ou le recrutement lui-même, sont défaillants, les perturbations du système sont incorrigibles a posteriori ; et ce d’autant plus que la durée de formation est importante. La crise persistante de recrutement des infirmières en fournit un parfait exemple. Ce mode de fonctionnement apparente tout autant ces emplois à une charge (au double sens de la charge notariale d’Ancien Régime dont le revenu est garanti et au sens de la prise en charge d’un besoin social que ces étudiants acceptent de satisfaire) qu’au métier spécifique auquel forment ces écoles. Il est à noter aussi que si ces « charges » s’adressent le plus souvent à des fonctionnaires, ce n’est pas nécessairement le cas. Les universités accueillent deux ensembles de formations de ce type : les apprentis médecins, dentistes, pharmaciens et vétérinaires d’une part et les futurs enseignants des établissements primaires et secondaires d’autre part. Pour autant, ni le rattachement des facultés de médecine aux universités en 68, ni la création des IUFM dans les années 80 ne remettent en cause l’étanchéité totale entre leur mode de fonctionnement et celui des universités. Les IUFM ont été créés sur des sites géographiquement distincts de leur université de rattachement, comme pour rassurer les étudiants sur le fait qu’ils en sont bien sortis. Quant aux UFR de médecine, elles continuent de cultiver, 40 ans plus tard et pratiquement partout, un état d’esprit (et de fait) d’institution dans l’institution qui fait par exemple alterner invariablement à Paris 6 un président d’université médecin et un président de tout autre discipline selon un modus vivendi explicitement admis : on partage la même adresse mais on fait chambre à part. Il n’y a du reste aucun « mixage » possible entre les deux systèmes : le grade universitaire sanctionne un niveau d’étude donnant accès soit à un concours, soit à une formation de niveau supérieur, soit à un emploi (non protégé) alors que le titre délivré par une école donne le droit d’exercer un métier précis que nul autre n’a le droit d’exercer. La protection du titre et le contingentement de l’accès fonctionnent alors comme garantie en échange du caractère mono-orienté de la formation. C’est un système sans ajustement possible comme en témoigne le cas des reçus-collés de médecine au début des années 70 : titulaires d’un grade universitaire leur ouvrant l’accès aux études de médecine, ils s’étaient vus refuser, par tirage au sort, cet accès suite à l’instauration, après leur inscription, d’un numerus clausus. Un cas similaire s’est reproduit tout récemment pour les étudiants préparant le concours de professeur d’éducation physique : le nombre de postes mis au concours a été brutalement réduit de manière telle que la majeure partie de la promotion se voyait, au terme de trois ans d’études, fermer la porte du principal débouché possible, le seul pour les formations véritablement mono-orientées. Au surplus, les dysfonctionnements éventuels d’un tel système planifié ne sont manifestes qu’au stade de la formation. Si les écoles d’infirmières n’attirent plus grand monde ou si on envoie une génération entière de professeurs d’éducation physique à la casse, on peut s’en rendre compte et tenter d’y remédier. Si en revanche on découvre un peu brutalement que le nombre de chirurgiens, ou de généralistes, diminue dangereusement, non pas seulement à cause d’un recrutement maintenu trop bas pendant trop longtemps mais aussi parce que certains abandonnent l’exercice de leur métier pour une autre spécialité ou un autre métier, l’équilibre est encore plus difficile à rétablir. Non seulement les étudiants ne respectent pas la « règle du jeu » : des bacs pro vont en DEUG, les bacs généraux préfèrent les IUT ou des médecins fraîchement diplômés choisissent de faire une école de commerce plutôt que d’aller occuper leur case du contingent annuel de nouveaux médecins. Mais même les adultes n’en font qu’à leur tête parfois ! On ne peut même plus se fier àla règle immuable selon laquelle on exerce en principe le même métier de la fin des études jusqu’à la retraite. On pourrait bien sûr aller encore plus loin dans la logique dirigiste : par exemple un exercice obligatoire de la profession de médecin en échange de l’exercice illégal de la médecine ou une période obligatoire en zone rurale pour les généralistes. Mais ce ne serait pas très ‘tendance’ et surtout contre-productif dans notre espace européen mondialisé. Alors on bricole le recrutement d’infirmières espagnoles surpayées ou de médecins algériens ou roumains sous-rémunérés sans trop se soucier de l’impact que cela peut avoir sur un milieu professionnel où les carrières sont aussi fortement normées. Encore peut-on, dans le secteur médical, faire appel à d’excellents professionnels hors de nos frontières. Mais que se passerait-il si nos magistrats décidaient brusquement de changer de métier ou s’il y avait crise des vocations de lieutenants de police ? On colmate, plutôt mal, sans réfléchir vraiment à ce système de formation accessible uniquement par la formation initiale et piloté par des flux dont l’impact sera perceptible pendant plus de 40 ans. Est-il simplement compatible avec la « flexibilité » si nécessaire, semble-t-il, dans le reste de la société ? On s’interroge si peu sur le bien fondé d’un tel système de formation qu’on n’hésite pas à le généraliser aux universités. Il est par exemple devenu banal (dans la bouche du ministre de Robien mais pas seulement) de s’insurger contre le nombre pléthorique d’étudiants en psychologie, étant entendu, comme dans le cas des professeurs d’EPS du secondaire, qu’une formation de psychologie ne peut conduire qu’à l’exercice du métier de psychologue. Étant entendu aussi que les universités doivent, à l’instar des grandes ou petites écoles, réguler leurs flux d’entrée de manière à garantir aux étudiants leur emploi à la sortie. Et si elles ne le font pas c’est soit qu’elles trompent les étudiants sur la marchandise, soit qu’elles font mal leur travail et qu’il faut encore « ajuster » les flux. Trompés sur la marchandise, ils le sont doublement en effet : non seulement parce qu’ils ne seront pas, sauf cas d’espèce, titulaires d’un titre de profession protégée mais d’un diplôme ; et trompés aussi parce qu’une université n’est pas, et ne peut pas être, un conglomérat d’écoles professionnelles même si le ministre lui-même tente de le leur faire croire. Un tel maquis de micro-écoles juxtaposées deviendrait encore plus illisible qu’il ne l’est déjà, quels que soient les efforts en matière d’orientation que l’on désigne comme le « maillon faible » du système. Surtout, les universités n’ont pour mission ni de garantir aux pouvoirs publics ou aux entreprises un contingent annuel d’étudiants formés, ni de garantir aux étudiants leur insertion professionnelle. Ce que personne n’attend plus depuis longtemps de l’ANPE, dont c’est théoriquement le métier, on considère désormais comme allant de soi le fait que ce soit le rôle des universités ! Quant à cette orientation que l’on se propose de développer au niveau universitaire, il serait plus exact, dans un tel contexte, de parler de signalétique que d’orientation. L’orientation la plus déterminante, dans le système éducatif français, se joue en effet au sortir du collège. C’est vers l’âge de 15 ans, et même dès la classe de 4ème selon le souhait du rapport Hetzel, que sont établis les pronostics sur les élèves jugés capables de suivre des études supérieures de bon niveau, ou une formation supérieure courte ou qui doivent sortir du système scolaire, si possible en allant jusqu’au bac. Pour les premiers, les titulaires d’un bac général, tous les choix de filières sont possibles et les meilleurs prennent les meilleures places (qui ne sont pas forcément les études les plus longues) ; pour les seconds, les bacheliers technologiques, le choix est beaucoup plus réduit ; quant aux derniers qui n’avaient pas été « programmés » pour entrer dans l’enseignement supérieur, ils n’ont pas d’autre issue que les premiers cycles universitaires, et pas forcément dans la discipline qu’ils avaient choisie mais dans les « places restantes ». Faut-il dans ces conditions considérer comme un scandale les 50 % d’échec en première année de premier cycle ? Le scandale ne serait-il pas plutôt que 17 % des bacheliers professionnels obtiennent le DEUG, démontrant ainsi que l’orientation qu’on leur destinait à 15 ans était d’une scientificité douteuse ? En réduisant l’accès aux universités selon le discours actuellement dominant au nom de la garantie d’emploi à la sortie, le mérite principal ne serait-il pas de faire disparaître ces « rescapés » d’une orientation scolaire subie et non choisie, de boucher l’une des dernières espérances de mobilité sociale ? Un réel débat sur ce que devrait être l’orientation, sur la place et les missions de l’université mérite d’être ouvert. Guy Berger, Colette Perrigault. Texte écrit après la publication de l'article de Bertrand Le Gendre dans Le Monde du 3/10/06
Date de création : 04/06/2007 @ 14:34
Dernière modification : 08/06/2007 @ 12:08
Catégorie : Contributions au débat
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